La santé mentale ? C’est un sujet encore largement tabou en milieu professionnel. Dans les organismes mutualistes, comme dans d’autres secteurs, les Référents handicap peuvent rencontrer des difficultés à aborder cette question. Appréhension d’évoquer un trouble psychique avec une personne qui n’a pas toujours fait reconnaître son statut de travailleur en situation de handicap. Anticipation des préjugés et des inquiétudes qui peuvent naître chez les managers et les collègues. Attention portée à ses propres émotions pour maintenir la bonne distance et placer le bon curseur dans son intervention.

Pour autant, les progrès sont sensibles. Déclarée Grande Cause nationale en 2025, la santé mentale a fait l’objet d’une campagne de sensibilisation dans l’opinion pour « libérer la parole ». Une formation aux premiers secours en santé mentale (PSSM) se développe en France depuis 2018-19. Organisée sur deux jours, elle diffuse notamment la méthode dite AÉRER, bien connue des Référents handicap : « Approcher la personne en difficulté, Écouter, Réconforter, Encourager et Renseigner. » Nouveauté annoncée : la formation aux premiers secours en santé mentale fera son entrée en 2026 au catalogue de formation de la branche Mutualité.

 Le « rôle pivot » des Référents handicap dans les organismes mutualistes

Le 18 septembre 2025, l’ANEM a invité le réseau HandiMut à une journée de formation et d’échanges sur le thème : « Santé mentale, handicap psychique, troubles psychologiques et du neurodéveloppement… Quels leviers d’actions pour le Référent handicap dans le cadre d’une démarche inclusive ? » Une vingtaine de Référents handicap de mutuelles, unions et groupes mutualistes était réunie pour une rencontre organisée à distance en raison du mouvement social lancé ce jour-là. « L’objectif de cette journée est d’approfondir nos connaissances sur ces formes de handicap, de partager les expériences, des pratiques et des outils », a expliqué en ouverture Clémentine THUEZ, Responsable de projets RH à l’ANEM.

Pour Noëlla RENOU, Consultante-Coach et Facilitatrice chez Meiz Développement, les Référents handicap ont en effet un « rôle pivot » dans la prise en compte des personnes concernées dans l’entreprise, « avec comme premier levier la médecine du travail », puis la coordination pluridisciplinaire avec l’ensemble des parties prenantes, parmi lesquelles le management. La rencontre du réseau HandiMut autour du thème de la santé mentale a ainsi vocation à déboucher sur la réalisation de fiches pratiques à destination des Référents handicap, qui sont parfois seuls à porter cette mission dans leur structure.

La santé mentale : « Un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel »…

Mais au fait, qu’est-ce que la santé mentale ? Chacun connaît la définition de la santé donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». De la même manière, l’OMS définit la santé mentale de la manière suivante : « Un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté. » « Être stressé avant une réunion importante, cela ne signifie pas qu’on a un problème de santé mentale, illustre Noëlla RENOU. Si j’ai une bonne confiance en mes capacités, que je sais, si nécessaire, demander de l’aide, c’est une situation à laquelle je peux faire face avec succès. »

A contrario, quels sont les troubles auxquels les Référents handicap peuvent être confrontés en milieu professionnel ? Marie LAUPRÊTRE, Psychologue Clinicienne et Consultante chez Impsylience Conseil, a présenté les principales différences entre le handicap psychique et les troubles du neurodéveloppement (TND). Le handicap psychique peut être défini comme la « limitation des capacités liée à un trouble psychiatrique ». Il émerge généralement au début de l’âge adulte, entre 17 et 25 ans, et peut être « invisible » avant d’être identifié. Exemples : la schizophrénie, la bipolarité ou les troubles anxieux sévères. En revanche, les TND constituent une « altération du développement cognitif, moteur ou social » qui se manifeste dès la naissance, avec notamment un retentissement sur les apprentissages scolaires. Il s’agit des troubles DYS, du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA-H) et du trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Premier levier d’action : l’organisation du travail

Les difficultés rencontrées par les salariés concernés touchent l’ensemble des registres : cognitif (mémoire de travail, concentration..), organisationnel (absentéisme, rythme irrégulier…) émotionnel (humeur, confiance en soi…) et relationnel (difficultés de communication, isolement…). Les leviers à la disposition de l’entreprise doivent être adaptés à chaque situation. Un trouble psychique connaît le plus souvent une évolution fluctuante, qui peut s’aggraver avec l’âge et altère tous les processus d’organisation. La personne peut passer d’un rythme de travail intense à un fort ralentissement, de l’apparente indifférence à l’exaltation. Les troubles du neurodéveloppement, quant à eux, affectent les fonctions cognitives et peuvent se manifester notamment par une communication atypique (impulsivité, difficultés à comprendre les implicites).

« L’organisation du travail est le premier levier dont l’entreprise peut se saisir, souligne Marie LAUPRÊTRE. Donner des consignes claires, aider à la priorisation des tâches, fixer des repères temporels et veiller à la régularité. Pour les personnes présentant un trouble psychique, le management doit être vigilant aux signes de rechute. Le recours au temps partiel thérapeutique ou au télétravail partiel constituent des adaptations possibles. Du côté des TND, des outils numériques existent, notamment pour les personnes DYS. « Réduire le nombre de tâches, mais pas leur complexité, est une bonne piste d’action. Pour les personnes TDA-H, un management qui valorise les points forts et lance des challenges professionnels peut aussi être bien accueilli. »

Un besoin d’échanger et de coconstruire à partir de situations concrètes

Et en pratique ? Les participants ont été répartis en sous-groupes pour réfléchir sur des cas pratiques anonymisés, inspirés de situations réelles (lire encadré plus bas). La rencontre se poursuit en multipliant les allers et retours entre la théorie et la pratique, l’expérience des Référents handicap et les connaissances des expertes. « Les témoignages du réseau montrent combien ces échanges sont importants pour les personnes qui sont sur le terrain et qui doivent parfois seules gérer des situations complexes. Une rencontre comme celle du 18 septembre leur donne la possibilité de coconstruire ensemble des solutions », relève Jocelyne POITE, Responsable de projets RH à l’ANEM.

Pour Aurélie BOUTET, Responsable du Pôle Développement RH et RSE, l’animation du réseau HandiMut s’inscrit dans une politique globale d’accompagnement des organismes mutualistes : « La prochaine initiative de la branche Mutualité sera le lancement de la première promotion inclusive inter-entreprises du Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) de Chargé·e d’Accueil et de Relation Clients-Adhérents (CARCA). Cette promotion intègrera exclusivement des candidats en situation de handicap. Cette initiative est conduite en partenariat avec l’IFPASS (Institut de Formation de la Profession de l’Assurance). » Rendez-vous est pris pour la rentrée scolaire 2026 !

CAS PRATIQUE : QUAND JANA PASSE DE L’EXALTATION À LA DÉPRIME

Mise en situation en sous-groupes pour les Référents handicap : le groupe 4 se penche sur la situation de Jana – le prénom a été modifié -, une ingénieure de 37 ans dont le parcours professionnel est riche de compétences pointues. Elle est fréquemment absente pour des périodes assez longues. Jana est introvertie et habituellement discrète au sein du collectif de travail. Son humeur fluctue cependant au fil des mois : parfois exaltée et enthousiaste, puis déprimée et en retrait lorsqu’elle revient d’arrêt de travail. Ses collègues observent alors un ralentissement de son activité, des pertes de mémoire et une grande fatigue. La médecine du travail demande à ce que Jana soit accompagnée et que son poste de travail soit adapté.
En petit groupe, le débat s’engage. Dans le respect du secret médical, la pathologie dont souffre Jana n’est pas communiquée par la médecine du travail. En revanche, le groupe sait qu’elle bénéficie d’une reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé (RQTH), ce qui peut faciliter la mobilisation de ressources de la part de l’AGEGIPH (Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées) ou de Cap Emploi. 
Les idées fusent : « Un TPT ou une RLH? », lance une participante. Comprendre : un Temps Partiel Thérapeutique, ou une Reconnaissance de Lourdeur du Handicap (RLH). Il s’agit d’une aide destinée aux employeurs, visant à compenser financièrement les conséquences du handicap d’un salarié sur l’activité professionnelle, une fois réalisé l’aménagement du poste de travail.
Un consensus fait jour : il faut d’abord engager le dialogue avec Jana afin qu’elle identifie le Référent handicap de l’entreprise comme une personne à laquelle elle peut faire confiance. Quand ? À son retour d’un arrêt de travail, en coordination avec son manager. Une première pierre est posée.
En débriefing, Marie LAUPRÊTRE, avec son regard de psychologue clinicienne, approuve la stratégie du groupe et lui donne plus d’informations sur la situation : « Jana souffre d’un trouble bipolaire. Son comportement peut donc être mal interprété par son entourage : l’enthousiasme dont elle fait parfois preuve, et qui peut être apprécié par ses collègues, correspond potentiellement à un début de phase dite ‘maniaque’ de la bipolarité. Son exaltation n’est pas bon signe. En revanche, lorsque la salariée reprend son activité après une période d’arrêt maladie, son état présentant un ralentissement et/ou une humeur d’apparence plus déprimée est en réalité plus rassurant sur le plan clinique. »